Hier soir, dans le RER, trois enfants et leur maman…

    J’adore Paris. Malheureusement pour moi, je vis en banlieue pas si proche. Et au moment de m’y rendre, se pose toujours la question sensible de la voiture ou du RER.

    Hier, je décide d’aller flâner un peu du côté des Halles. Envie d’aller faire quelques boutiques. Inconsciente que je suis, je prends le RER B. Entassement sur le quai, usagers qui jouent des coudes. Va-t-on pouvoir s’asseoir ? Tout l’enjeu de la situation est résumé dans ces quelques mots. J’espère bien que les portes vont s’ouvrir juste devant moi et que je vais pouvoir lire, correctement installée. En effet, j’ai le dernier Marie Vareille en main et je compte bien m’en régaler.

    On est serrés les uns aux autres, dans ce maudit RER. En plus, mes jambes sont trop grandes pour leurs places. Je bouquine, j’ai hâte d’arriver. Monde dans les Halles, shopping peu satisfaisant. Mais pourquoi ne suis-je pas restée tranquillement chez moi à écrire ou à regarder une série, au chaud sous mon plaid tout doux ? Sans compter que la sécurité à l’entrée des Halles laisse cruellement à désirer.

    Vite rentrer. Affronter de nouveau le quai bondé, les gens qui tranquillement se calent devant toi alors que tu attends depuis un moment… Avoir envie de grogner… Encore un coup de chance, la rame s’arrête de telle manière que je rentre dans les premiers et m’installe sur une vraie place. A moi le moment de lecture, qui devrait me permettre d’oublier le long trajet de l’omnibus.

hier
©Marion Pluss Photography

    Quand soudain, un petit doigt crasseux…

… se pose sur mon livre. Il appartient à un gamin d’une dizaine d’années qui vient de s’introduire, sans prévenir, dans la bulle que je venais de me construire. L’espace de quelques secondes, je suis un peu agacée par ce môme sans filtre, qui se colle à moi et a bien décidé que nous allions parler. Il connaît les lettres mais il n’arrive pas à former des sons avec. Alors je lui donne ce qu’il est venu demander, sans trop le savoir peut-être : un échange normal entre êtres humains.

En effet, je sens bien le regard gêné des gens autour de moi. Ce môme est l’aîné d’une fratrie. Ils sont trois et mettent le bazar dans la rame, sous l’oeil un peu gêné mais impuissant de leur maman. Roumaine. Ils sont sales, ils sont bruyants. Mais ce sont juste des enfants, ce sont juste des gens. Le second a sept ans, son visage sale s’éclaire d’un magnifique sourire à une seule dent. « Moi je sais, moi je sais ». Les deux enfants sont fiers de me réciter leur alphabet. Le plus petit est appliqué, il récite bien. Je lui dis que je suis maîtresse, que je le trouve très fort. Il est heureux. Sa mère me racontera qu’il a toujours été scolarisé en France, qu’il aime l’école. Alors on s’amuse, on récite l’alphabet à l’envers, on calcule. Quelle soif d’apprendre !

    Le plus grand feint de ne pas savoir.

    Il dit n’importe quoi, il me provoque, je le sens bien. Il m’aura d’ailleurs donné plein de prénoms, sans que je puisse jamais savoir lequel était vraiment le sien. Alors je ris, je le taquine, je l’encourage. Il se met à sourire à son tour, comme les gens qui nous entourent et qui, comme moi, ne voient plus que la magie d’une rencontre entre une dame et des enfants espiègles. Me voilà, les aidant à déchiffrer, leur faisant la lecture de passages de mon livre, des inscriptions sur leurs petits t-shirts sales et troués.

    Leur petite soeur de quatre ans – née en France, la maman est fière de le dire – se colle à moi en répétant « t’es la maîtresse, t’es la maîtresse ». Elle aussi veut savoir ce qui est écrit sur son sweet rose plein de tâches. « Happy baby », elle est heureuse, rit « je suis grande maintenant ». Celui de sept ans est fier d’avoir « Captain America » sur le sien. Je lui dis qu’il est un super héros, que ça se voit. On rit ensemble. Les gens autour rient aussi et je vois bien que, l’espace d’un instant, leur regard a changé.

    La maman, quelques pas derrière, les rappelle « Faut pas embêter la dame »

    Elle est touchante, on se met à discuter, naturellement. Alors, elle m’offre quelques mots en roumain, mon oreille frétille de cet échange. Cette maman veut savoir si ses garçons savent lire. Pour le grand, c’est compliqué. Il regrette la Roumanie. Ici, à l’école, il a du mal. On se moque de lui, il se bat. Alors il est puni. Et comme il ne sait pas encore lire, on le met en CP certaines heures, dans la même classe que son petit frère. Et il a honte. Pourtant, il sait lire et écrire en roumain. La maman aussi d’ailleurs. Mais en France, il faut croire qu’on n’est pas capable de comprendre que ce sont aussi des qualités. Le petit, lui, est très vif. Nul doute qu’il saura vite lire s’il va régulièrement à l’école.

    Je suis triste car je n’ai rien sur moi : ni monnaie, ni bonbon à leur donner. Remarquez, ils ne faisaient pas la manche. On a juste discuté, ri. Dans un pays où on s’écarte et où on les pointe du doigt. Finalement, c’est aussi bien, car ils ne m’ont rien demandé. Cela aurait sans doute brisé quelque chose.

    On est arrivés au terminus du train et nos chemins se sont séparés. Ce matin, je pense encore à eux et à ce petit moment de bonheur volé dans un RER.

    Je vous invite à aller voir la magnifique série « Voyage à Roms » de Marion Pluss, dont j’adore le travail et qui a immortalisé sa rencontre avec des enfants Rom près de chez elle, en 2014.

42 réflexions au sujet de “Hier soir, dans le RER, trois enfants et leur maman…”

      • Pendant plus d’un an j’ai eu la chance d’enseigner le français dans la Jungle de Calais, en vous lisant j’ai reconnu cette soif d’apprendre aussi bien de la part des petits mais aussi des grands, cette importance vitale aux yeux des parents que leurs enfants sachent lire et écrire. Dans la Jungle de Calais c’est là où j’ai fait les plus belles rencontres pleines d’humanité qui m’ont changée à tout jamais.

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  1. Je suis très émue en te lisant, merci de partager ce beau moment, même s’il est triste aussi. Le sourire et la communication ça aide tant…

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  2. Ce sont ces rencontres qui comptent!
    Les rencontres d’humain à humain… De personnes sensibles à personnes sensibles…
    Merci pour ce partage, hier tu as semé des graines… D’espoir, de compréhension, de joie… Et eux aussi ont semé des graines en toi…
    Il y a de quoi avoir foi en l’être humain.

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    • Merci Mag 😉 Tu es de celles qui font cela : semer des graines.
      Espérons que tout cela pousse assez vite pour nous sauver 😉

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  3. Je pense que ce moment d’humanité et de plaisir partagé restera un souvenir bien plus cher que le don d’un ou deux euros… Même si ça ne remplit pas le ventre, ça nourrit l’âme !

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  4. Merci pour ce beau partage, Stephie 🙂 !
    (et sinon, ma grande sœur habite aussi en banlieue desservie par le RER B, qu’elle et son compagnon apprécient autant que toi)

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  5. Je t’imagine tellement partager ce doux moment empli de tendresse et d’humour, je vois les gens autour de vous changer de visage avec ta joie communicative. Moment sans aucun doute marquant et plein d espoir pour toi,eux toute la rame . Merci d’avoir fait partager.

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  6. Un petit doigt sale, un grand moment de partage! Merci stephie d éclairer notre journée. Nous étions pour quelques instants assis à tes côtés partageant avec les enfants le bonheur de cette rencontre.

    Ps: Eh maîtresse si un jour tu publie un livre fais nous le savoir. C était trop bien!!!

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  7. Je retrouve les moments partagés avec mes élèves d’UPE2A, roms ou autres, plus ou moins bien intégrés selon les familles, ou sans famille parfois. Une vraie richesse que d’échanger avec eux au quotidien <3

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  8. Tu penses bien que je n’allais pas passer à côté de cet article… Alexandru et Sebastian ce sont les prénoms des miens enfin des miens…. ceux qui traversaient l’Essonne entière pour venir dans mon école. Et à chaque fois qu’ils changeaient d’hôtel, de foyer, on vidait la case et ils me disaient « mais on sera là demain maîtresse». Et ils l’étaient, au prix de voyages interminables. J’ai eu des nouvelles il n’y a pas longtemps. Ils savent lire… en français. Je précise car ils lisaient en roumain mais c’est pas facile quand on n’a pas forcément envie d’être là.
    Et oui un moment de vie entre une femme et des enfants parce que c’est ce qu’ils sont non? Ils auront changé ma vie et quoique je devienne, ils auront été au départ de mon nouveau chemin…

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    • C’est un très beau commentaire que tu me laisse, là. Et je te le souhaite le moins caillouteux possible, ce nouveau chemin. Gros bisous

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  9. Ton ouverture est précieuse pour ses enfants et leur maman et tu as aussi montré aux personnes du RER qu’il ne faut pas sans cesse se méfier des autres, que s’ouvrir, un sourire, un échange cela nourrit. J’aurais aimé être là (moi qui passe ma vie dans le RER !), assister à cet échange émouvant. Tu es généreuse, ils t’ont donné aussi. C’est beau et j’ai envie de croire en cela. Je t’embrasse fort fort.

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