Une photo, quelques mots (23)

Petit texte en hommage à tous mes collègues silencieux qui serrent les dents et reviennent chaque jour, sans savoir qu’ils sont des héros à leur façon.prison-break-2013

 

© Marion Pluss

    Comment je vais encore justifier ce fatras ? Le plus beau métier du monde… Faites-moi rire. Rien ne m’avait préparé à affronter ça. Des hordes de bambins diaboliques…

Je croyais vraiment leur apporter mon dynamisme, ma fraîcheur, mon savoir… Seulement, j’ai à peine pu leur dire mon nom. Noyé par le bruit, j’ai essayé de le leur écrire. En vain… Les projectiles ont fusé. Ils n’ont même pas daigné le lire. Et qu’est-on au final quand on n’a plus de nom ?

Jour après jour, je fais semblant. J’entre dans cette classe, je veille à ne leur tourner le dos que le moins possible. Mais il y a toujours un moment où je dois écrire sur le sacro-saint tableau ce que, de toute façon, ils ne recopieront pas.

Alors, je rase les murs en permanence. De peur de croiser ceux qu’on appelle « les collègues » qui, malgré toute leur bienveillance, te renvoient à ta propre incompétence. Ils ont beau rassurer, conseiller, raconter leurs débuts aussi peu glorieux que les tiens, chaque heure c’est seul que tu entres dans l’arène.

Je rase les murs en permanence, de peur de croiser mes élèves dans les couloirs, de nouveau être la cible de leurs moqueries. Je porte au quotidien le masque de l’humilié.

Je rase les murs en permanence, espérant sans doute me fondre dans le décor. Je rase les murs, espérant disparaître à jamais.

18 réflexions au sujet de “Une photo, quelques mots (23)”

  1. C’est marrant, je ne l’avais pas perçue comme toi cette photo. J’aime ça, quand les photos tirent des émotions différentes aux gens! Très beau texte, très bel hommage! 😉

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  2. Oui Tag moi non plus je ne l’ai pas perçu comme Stephie mais comme toi jaime ces différences dans l’émotion ou le ressenti.

    C’est un bel hommage à ces héros malgré eux. . .

    J’aime qu’on ouvre mon regard à de nouvelles perspectives.

    Merci

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  3. On a toujours du mal à imaginer cette réalité que tu décris, je suis d’une autre génération et j’ai souvenir qu’à l’atelier lorsque j’étais au collège quand le professeur parlait nous l’écoutions, autre temps autre comportement. Même si nous étions des agités il y a avait la notion de respect…
    Beau texte en tout cas.

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    • Merci pour ton commentaire. Ma génération avait également le respect du professeur car ce dernier incarnait une fonction honorifique. Quand tu vois de quelle manière les médias et notre propre institution nous méprise, on ne peut attendre du respect des citoyens et donc de leurs enfants. Et puis je remarque vraiment que les jeunes les plus irrespectueux sont ceux qui ont d’abord perdu tout respect d’eux-mêmes. Et c’est encore plus triste.

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  4. Ce texte est très juste, Stephie. Et il me touche. Je crois qu’il m’aurait vraiment fait du bien, il y a une dizaine d’années.

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