Une photo, quelques mots (39)

L'Original

© Romaric Cazaux

 

L’original du quartier

    Avec sa barbe touffue et son béret ainsi posé, les gens avaient pris l’habitude de l’appeler L’Original. Nul ne savait trop où il habitait, nul ne savait trop d’où il venait et au final, on s’en foutait.

    L’Original semblait être le premier à arpenter nos rues et semblait y être encore quand chacun de nous était déjà rentré dans la chaleur de son foyer. Mais à son aspect très soigné, personne n’aurait pu imaginer cela.

    Non seulement, L’original avait toujours un gentil mot pour chacun d’entre nous mais il n’oubliait jamais de demander des nouvelles de chacun, du rhume du ptit Pierrot, de la santé de mémé Georgette qu’il n’avait pas croisée depuis quatre jours, des parents de Zaza même s’il savait bien qu’elle ne leur parlait plus depuis des mois. Parce qu’étrangement, L’original connaissait tout le monde alors que personne ne savait rien de lui.

    Il aidait les personnes âgées à traverser, prêtait main forte aux femmes pour porter leurs paquets. Il faisait rire les enfants et on pouvait même le surprendre à jouer avec certains d’entre eux. On dit même qu’il en aidait certains à réviser leurs leçons, le soir, sur le banc du petit square sur la place.

    Un homme bon qui distribuait des maximes comme d’autres distribuent des bonbons. Un peu de douceur dans ce monde trop sec, un peu de compassion au milieu du règne de l’individuel.

    Alors à l’annonce de sa mort, dans le froid, quelques rues plus loin seulement, tout le monde pleura. Personne n’avait compris que celui qui donnait tant, en fait n’avait rien.

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39 réflexions au sujet de “Une photo, quelques mots (39)”

    • C’est ce que je trouve un peu moche de nos jours dans les grandes villes.
      Et je n’ai pas cherché cette fois à surprendre avec ma chute mais juste d’emmener avec moi le lecteur qui se doute bien de la manière dont tout cela va finir

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  1. Un joli texte avec une jolie gouaille.
    La gentillesse des gens passe souvent inaperçue, oui … du moins tant qu’on l’a sous les yeux. On la regrette amèrement après.

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  2. Je n’avais pas senti venir la chute non plus , elle m’a d’autant plus saisi qu’en quelques lignes tu es parvenue à ce que je m’attache à lui. Beau portrait vraiment!

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  3. Comme a chaque fois tu t’en sors bien. J’aime la chute que je considère comme une morale; oui on peut toujours donner même si on a pas grand chose, ne serais ce qu’un sourire. 🙂

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  4. Oh 🙁 Moi aussi la chute me plombe.

     » Au final, on s’en foutait  »
    Oui, c’est bien ça le problème. Et il n’y a pas que dans les grandes villes, malheureusement…

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  5. Un joli texte! J’ai tout de suite pensé au personnage de l’atelier des miracles. Ces types cassés qui n’ont rien mais n’ont pas besoin de plus, pour qui la seule satisfaction est de donner! Jolie déclinaison de la photo. C’est vrai qu’il a le regard apaisant du sage qui veut le bien!

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