A l’origine notre père obscur – Kaoutar Harchi

A-lorigine-notre-père-obscur    Je devais participer à une lecture commune avec Noukette et Leiloona, la semaine dernière. Mais débordée par un projet dont la dead line est demain soir, je n’ai pas eu un instant à moi.

    Néanmoins, je veux rajouter ma petite pierre à l’édifice et vous donner mon avis sur le roman d’un écrivain qui a une jolie voix rien qu’à elle. Une voix puissante même. Je l’avais découverte grâce à sa première publication pour adultes chez Actes Sud aussi, L’ampleur du saccage.

    Dans ce roman, les pistes sont délibérément brouillées, les contours comme gommés. Où est-on vraiment et à quelle époque ? Tout ce que l’on sait, c’est que l’essentiel du roman se joue dans une maison où cohabitent des femmes que leurs maris ont abandonnées. La voix qui s’élève le plus souvent dans ce roman polyphonique est celui d’une jeune fille, qui a toujours vécu ici. Aucun mari ne l’y a reléguée. Mais c’est dans le ventre de qu’elle y est arrivée. Elevée au milieu de ces femmes, elle s’interroge sur ce qui permet aux hommes de les reléguer là, sur le quotidien qu’elles se créent et l’attente incessante dans laquelle elles vivent.

    Et petit à petit, on commence à découvrir l’histoire de la Mère, cette femme qui fut si fraîche et qui se laisse dépérir jusqu’à en mourir. Alors viendra le moment nécessaire de la quête de l’identité, la nécessité de faire éclater la vérité. Quête qui mènera la jeune narratrice plus loin qu’elle-même.

    Comme mes deux camarades de lecture, je ne peux que constater la force du style de Kaoutar Harchi, la puissance des images qu’elle met en place et l’installation fine d’une société. Je lui trouve un talent fou et je veux croire qu’elle sera une des voix littéraires des années à venir.

    Néanmoins, j’ai un bémol, un vrai. J’en ai discuté avec Noukette au téléphone et elle, pense que c’est un détail. Mais moi, ça me gêne vraiment. La voix principale est donc celle de cette jeune fille, qui n’a vécu qu’au milieu de femmes abandonnées, recluse. On apprend d’ailleurs que la Mère était une « pauvresse » quand le Père l’a rencontrée. De même, on a accès à un passage du journal intime de la gouvernante de la maison du père, mais aussi à celui de la Mère et à celui d’une des autres femmes de la maison. Alors deux critiques de mon point de vue. Et je veux bien en discuter car j’ai peut-être une lecture trop orientée. Tout d’abord, si ce récit est laissé volontairement dans un flou culturel, on l’imagine difficilement s’inscrire dans un pays occidental et je ne pense pas que l’auteur ait voulu proposer une dystopie. Donc si je poursuis sur ce raisonnement, je ne pense pas que tous les personnages, notamment la Mère et la gouvernante ait eu un grand niveau d’instruction. Alors le style qui leur est prêté me gêne, je ne trouve pas qu’il colle. De même, je ne pense pas que cette enfant ait eu accès à l’instruction dans cet endroit clos où les femmes sont oubliées. De plus, le procédé du cahier intime, que l’on trouve au bon moment en plus, ne me convainc pas dans sa répétition. D’autant que dans ce roman choral, je n’ai pas réellement senti de changement de ton, de style d’une voix à l’autre.

    Alors, oui, le style est splendide, le message et toute la réflexion sur la place et le corps de la femme sont percutants (un passage de la fin du roman m’a émue jusque dans les tripes). Mais je trouve qu’à avoir trop voulu gommer certaines choses, à avoir refusé de donner certains marqueurs, l’auteur a faussé quelque chose.

28 réflexions au sujet de “A l’origine notre père obscur – Kaoutar Harchi”

  1. C’est dommage c’est vrai qu’on on arrive à voir quelque chose dans un livre qui nous bloque comme ça. Je ne connaissais pas du tout le roman mais peut etre un jour.

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    • Je ne dirai pas que ça m’a bloquée car je l’ai lu assez vite et avec plaisir. Mais selon moi, cela ne me permet pas d’en faire une grande oeuvre.

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  2. Je reste sur mes positions 😉 Selon moi l’isolement n’empêche pas un certain niveau d’instruction, rien dans le roman ne dit qu’elles n’ont pas accès à la culture, à la lecture… Et être gouvernante n’empêche pas je pense de pouvoir écrire et s’exprimer correctement. Mais tu trouves ce roman splendide malgré tout (et il l’est !), donc je te pardonne 😉

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    • C’est surtout le style, dans l’absolu, que je trouve splendide. Mais je reste sur mes positions pour le reste. Et rien ne dit non plus qu’elles y ont accès, je trouve ça trop facile. 🙂

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  3. Malheureusement en 2014, il y a encore des sociétés où l’homme décide de tout. Des sociétés patriarcales violentes et hypocrites. Le sujet m’interrresse, je lirai ce récit.

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  4. J’aime bien ton bémol qui me donne encore plus envie de savoir s’il serait pour moi un frein au plaisir de total de lecture.

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  5. Attends, là il va falloir que je relise car selon moi la mère est une occidentale, rejetée par sa famille elle-même … bon va falloir que je relise des passages ! 😆

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  6. Je viens de l’acheter aujourd’hui et donc, je me suis arrêtée à ton bémol, et reviendrais une fois le livre lu 😉

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  7. Je l’ai eu hier, et lu le soir même d’une traite. il est dure a lire, très dure,surtout qu’au fil de ma lecture, j’ai vu défiler des femmes et des filles que je connais de loin ou de près. avant cette lecture je les voyait avec une certaine tendresse ou pitié. Maintenant….

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  8. Un coup de tel m’a interrompu quand j’écrivait le commentaire ci dessus et en y retournant je croyais que je l’avais terminé et je l’ai envoyer.
    Maintenant que j’ai pris conscience (grâce a ce récit) a quel point ces femmes peuvent s’enfermer et souffrir en silence, je les vois avec beaucoup d’empathie. ( il s’agit des mères et des filles de mon village natal ). Juste une précision : il y a une prise de conscience par une grandes partie des gens, heureusement.Et d’autres qui s’accrochent au traditions débiles.

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    • Merci d’avoir complété ton commentaire. Ta vision des choses et tous tes apports sur la question m’intéressent beaucoup 🙂

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  9. Avais jamais lu ton avis poulette sur ce roman sur lequel je travaille …
    Très beau billet et évidemment des bémols intéressants que je note en relisant ce livre !
    Bisous infinis si si <3

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