Chambre 2 de Julie Bonnie

    Je devais publier ce matin un autre billet et puis quelques mots du participant à un forum de profs que je fréquente m’a donné envie chambre 2d’essayer de parler de ce roman aujourd’hui.

    L’action se déroule dans une maternité. Béatrice est auxiliaire de puériculture et elle va de chambre en chambre prodiguer des soins aux jeunes mamans et à leurs bébés. Dans certaines chambres, le bonheur. Dans d’autres, la peur, le chagrin, le renoncement… Et au milieu de ce récit, s’enchevêtre celui de la vie de Béatrice – de sa vie de spectacle avec Gabor, l’homme aimé à cette vie sédentaire qu’elle a dû choisir.

    Ce roman se lit très vite, le style est simple, les chapitres courts. Je dois reconnaître que je ne sais pas trop si j’ai aimé ce roman, en fait. Tout d’abord, j’ai eu beaucoup de mal à rentrer dans le roman. Au départ, je n’adhérais pas à l’alternance avec le récit de sa propre vie. Et puis je me suis laissée emporter, prenant plaisir aux réflexions qui sont faites sur ses choix de vie fort différents.

    Il y a une forte différence entre d’une part, les récits faits des différentes chambres, comme des tableaux indépendants, sortes de clichés non reliés les uns aux autres – hormis le destin de cette femme de la chambre 2 (même si techniquement, je ne pensais pas sa présence possible, mais…) et d’autre part, celui assez linéaire et suivi de sa propre vie. Les deux finissent forcément par se croiser. J’avoue être restée assez en retrait de la chute choisie par l’auteur à son roman.

    Alors ce qui m’a donné envie de publier mon avis aujourd’hui, c’est donc l’avis de cet homme, lu ailleurs, sur la vision que ce roman donne de la femme. Il s’est dit gêné du fait que la femme n’y semble pouvoir exister qu’en tant que mère, que la place faite à la femme elle-même y était oubliée derrière celle de la mère. Je ne suis pas totalement en désaccord mais je pense que c’est juste un angle de vue, un parti-pris pour l’écriture de ce roman et pas un message de l’auteur.

    Tout d’abord, dans une maternité, la place que prend l’enfant qui vient de naître est forcément immense. La place que prend l’enfant qui vient au monde est incroyable, c’est une vraie révolution. Il va falloir du temps à la femme pour se retrouver, en dehors de ce nouveau statut qui vient de se créer. J’ai trouvé le récit de l’accouchement de Béatrice, très beau, très animal et ayant le courage de prononcer le mot d’orgasme qui est totalement tabou. De même, ce qui se joue dans une des chambres entre le mari qui prend toute la place, laissant la mère en retrait de sa propre maternité, j’ai trouvé cela vraiment très bien raconté.

    Ensuite, effectivement, on peut s’étonner de ce discours fort qui tente de remettre d’autorité la femme dans son rôle de mère, lui reniant de nouveau insidieusement le droit de disposer de son corps de femme autrement que dans celui de génitrice. On peut s’inquiéter de cette sorte de doxa prônant que seuls allaitement, couches lavables, etc. sont LA voie pour être une bonne mère. Personnellement, je vois ça comme une mode qui finira par passer. Tant que chacune de nous peut encore vivre sa maternité (ou sa non-maternité) comme elle l’entend, qu’on ne revient pas en France à une interdiction de l’IVG. Tant que je suis maîtresse des choix concernant mon corps et ma vie, le regard des autres m’importe peu. Et le regard des autres, ça a toujours été la peste du monde… Je ne vous ferai pas un laïus aujourd’hui encore sur ces schémas que la société veut nous imposer et qui finissent par rendre les gens malheureux plutôt que de les rassurer…

    En bref, ce fut un bon moment de lecture même si on est loin du coup de coeur pour ma part.

    Retrouvez les avis de Laure, Cathulu, Aproposdelivres, Clara, Marie-Claire, Chris, Charline

Rentrée 2013

33 réflexions au sujet de “Chambre 2 de Julie Bonnie”

  1. Ton billet rend très bien compte de ce livre… ce qui m’a le plus gêné quand j’ai lu Chambre 2, c’est l’alternance avec la vie passée de la narratrice qui m’a parue moins intéressante, et faire un peu office de « remplissage ». Sinon, je ne crois pas non plus que ce livre veuille absolument renvoyer la femme à sa place de mère… mais c’est intéressant de le penser en contrepoint du petit essai récent de Pia Petersen. Chacun à sa manière renvoie à des questions qui se posent en ce moment, et tant mieux si elles se posent !

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    • J’ai ressenti la même chose que toi au début aussi. Et puis son récit m’a intéressée presque jusqu’au bout. Et oui, j’aime me dire que nos lectures nous aident à nous interroger sans cesse 😉

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    • Et j’espère qu’il viendra commenter ici (et ouvrira un blog) car il a toujours des avis de lecture fort pertinents !

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  2. Je suis extrêmement flatté d’être cité dans ces pages ! Pour rebondir sur une de tes remarques et ne pas trop répéter ce que j’ai dit ailleurs, si je dois effectivement trouver un point positif à Chambre 2, c’est l’utilisation du mot orgasme dans une scène d’accouchement. Là, pour le coup, on est vraiment dans un regard non-normé sur l’accouchement car en effet il est rare de parler de ça, et il est rare, du coup, que les femmes osent en parler. La scène en elle-même, en revanche, me rebute parce qu’elle a ce côté « la femme est une déesse de la fertilité qui s’ignore » qui me gêne (au même titre que les scènes du genre « je suis enceinte, je le sais parce que j’ai eu une révélation – pas besoin d’un test, je suis connectée à mon corps »). C’est le côté animal dont tu parles qui me déplaît en fait, je crois, parce qu’il est présenté comme une sorte de voie royale, avec tout le discours anti-médicalisation qu’il implique (qui tient bien sûr de l’effet de mode, mais qui est souvent imposé avec virulence et déplace la conception de ce qu’est une « bonne mère »).
    Pour finir, comme tu le dis l’angle de vue et, simplement, le choix du décor font qu’il est logique qu’on croise plus de mères que dans un roman lambda. Ca n’est pas forcément inintéressant en ce qui concerne le registre des ressentis des mères qui viennent d’accoucher (même si les accouchements pathologiques sont un peu trop présents), mais le regard de Béatrice renvoie toujours la maternité à quelque chose de mystique, à un accomplissement d’ordre quasi-surnaturel et c’est surtout ça qui m’a gêné. On nous parle de prendre du recul par rapport au regard porté sur le corps féminin, et j’ai l’impression que c’est le contraire. Je ressens la même chose par rapport à l’ancienne vie de Béatrice – elle se présente comme une femme « anormale », « folle », alors qu’elle est juste un peu anticonformiste : certes, elle est soumise au regard parfois méprisant de certaines personnes, mais finalement je trouve que mettre autant l’accent sur ça est justement très conservateur. Béatrice a fait un choix de vie particulier, mais rien ne légitime sa victimisation. Je crois qu’en fait c’est surtout ce choix de narrateur qui déséquilibre le roman, Béatrice est trop normale, malgré son empathie hors-normes, pour assurer un vrai regard critique sur les codes sociaux imposés aux femmes.

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    • Et je remercie Kathel d’avoir mentionné Pia Petersen : je suis allé lire l’article la concernant et je pense que je vais essayer de trouver Instinct Primaire sous peu !

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    • Merci beaucoup pour ce long commentaire très précis. Au fond, je suis d’accord avec toi sur pas mal de choses. Il faut arrêter de voir la maternité comme un truc mystique. Certes c’est quelque chose de très fort mais il faut tout remettre au bon endroit, à sa juste place.
      Pour le personnage de Béatrice, en effet, moi non plus je ne l’ai pas trouvée du tout « folle ». Elle sort un peu du cadre, elle a un mode de vie « bohème » et voilà…
      En tout cas, continue à venir traîner des guêtres ici 😉

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  3. Merci Stéphie de donner ton avis sur le livre et de te livrer même un peu plus sur la maternité et autres diktats de la maternité. De même Pr. Platypus il est intéressant de lire ton avis et c’est bien là l’objet des blogs et cela reflète même la grande chance que nous avons de vivre en démocratie!
    Je ne lirai pas ce livre, je ne peux que être d’accord avec toi stephie sur le diktat de « ce-qui-fait-une-bonne-mère » ou encore toi Pr. Platypus sur le côté mystique qui personnellement m’échappe…Je suis juste curieuse de comprendre à quel moment le mot « orgasme » est utilisé pendant l’accouchement car je dois dire que j’en ai marre d’entendre dire que l’accouchement est magique (peut-être mais pas pour toutes) et je trouve que l’on ne nous prépare pas assez (et les pères encore moins!) à la douleur…peut être mon état me fait-il réagir plus sur ce billet, désolé 🙂

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    • Ah les hormones de femme enceinte, mdr ! Pour l’orgasme, c’est au moment de l’expulsion du bébé. Quant à la préparation à la douleur, ce n’est pas faux. On médicalise beaucoup mais on accompagne peu au final. Et dans ce roman, d’ailleurs, on ressent assez fort le mépris du personnel médical.

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  4. Pour l’anecdote, je me souviens pour ma fille aînée d’avoir été sermonnée car je ne voulais pas allaiter…
    J’ai vraiment aimé ce livre !

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  5. Un sujet inépuisable … Avec des points de vue différents. Le problème est toujours, comme tu le dis si bien, d’imposer aux autres une façon de vivre sa maternité.
    Envie de le lire, mais pas tout de suite, et puis comme le sujet m’importe vraiment peu en ce moment …

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    • Elle est très chouette en effet et me fait penser à tes photos (celles utilisées pour ma zoulie bannière, hi hi)

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  6. Sincèrement, je n’ai pas envie de lire ce livre – je crains aussi ce regard réducteur sur la femme, qui ne s’accomplirait que dans la maternité. Puis, j’ai le « bonheur » d’entendre fréquemment le récit des accouchements de mes collègues ou des membres de ma famille, et cela me suffit… amplement.

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  7. il m’attend sur l’étagère. Un sujet avec beaucoup d’écueils et qui va directement à l’émotionnel. Je viens de terminer Kinderzimmer. Je vais digérer un peu…

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