_cole_de_la_honte    En lisant il y a quelques temps un avis chez Leiloona, je m’étais dit que ce livre allait m’agacer et je l’avais un peu délaissé sur ma PAL, je dois le reconnaître. La diffusion de l’excellent téléfilm Fractures sur France 2 l’autre soir et la participation de l’auteur au débat qui a suivi le film a redonné un souffle à ma curiosité.

    Je dois le dire d’entrée, mon avis est subjectif. J’enseigne depuis des années en banlieue sensible et depuis cinq ans dans ce qu’on appelle un collège « Ambition Réussite ». Je ne vous parlerai donc pas de qualité littéraire dans ce billet mais de mes ressentis quant à ce qui est avancé dans cet essai.

    Ce que je trouve intéressant, c’est que je ressens à cette lecture des choses assez différentes de ma copine Leiloona.

    Tout d’abord, il ne faut pas oublier que l’auteur n’a pas tenu le coup et demandé à être placé en congé sans solde (si j’ai bien suivi l’émission de mardi, elle n’a pas démissionné).
     De son discours, très amère, je veux retenir une première chose : la souffrance. Il est clair que cette jeune femme a souffert de se retrouver dans un lieu qu’elle n’avait pas du tout imaginé, obligée d’exercer un métier qu’elle pensait tout autre. Et elle n’est pas la seule, il faut le constater chaque jour.

    La première chose qu’elle dénonce, ce sont les IUFM (Institut Universitaire de Formation des Maîtres) censés apprendre aux jeunes recrues à apprendre. Elle tire à boulet rouge sur la vacuité de ce que cet institut a pu apporter aux nouveaux enseignants. Et je dois dire que je suis dans l’ensemble d’accord avec elle. La grande majorité de ce qui a été fait a ressemblé à du grand n’importe quoi.
    Cependant, je dois dire avoir connu dans tout le lot, UNE formatrice géniale qui enseignait en banlieue sensible et m’a apporté de nombreuses billes pour adapter mon enseignement à l’endroit où j’allais enseigner. Malheureusement, à tirer ainsi à boulet rouge sur cette possibilité de formation (perfectible, certes), elle a disparu et à cette rentrée les enseignants sont jetés dans la fosse aux lions pourvus de deux jours de formation et d’un DVD sur la tenue de classe. Et ils ont désormais un service plein dès la première année qui ne laisse pas le temps de s’interroger sur sa pratique et d’avancer.

    Ensuite, elle dépeint les établissements scolaires comme des lieux de violence dans tous les sens du terme. Certes, certains établissements ressemblent à des prisons avec leurs hautes grilles fermées et ce n’est pas engageant. mais quand les grilles sont moins hautes, les élèves prouvent qu’ils ont des capacités physiques et une détente hors du commun…. Ceci dit, on ne peut ignorer cette sensation d’enfermement.

    Je lis partout des choses très désobligeantes sur cette jeune femme et je trouve ça déplacé. Elle a osé dire ce qu’elle avait ressenti et apporté son témoignage. Elle a osé exprimer la détresse que ressentent de plus en plus de jeunes enseignants. Notamment ceux qui sont lancés dès leur deuxième année dans des établissements dont on n’imagine pas qu’ils puissent exister. En effet, quand j’entends dire que le téléfilm Fractures est une caricature et que des choses pareilles ne peuvent se produire, je rigole doucement… Tous les enseignants de France ne font pas le même métier et Mlle Sapielak a raison quand elle affirme que tous les élèves de France ne reçoivent pas le même enseignement.
    J’ai lu ce matin, sur un forum d’enseignants, un ancien fil de discussion « Et si elle enseignait comme elle s’exprime. » Oh, le joli jugement de valeur… et qui pour moi montre que chez les enseignants (comme chez les élèves d’ailleurs), on a vite fait de mettre au ban celui qui est en position de faiblesse.

    L’auteur dit que les enseignants qui s’en sortent sont ceux qui matraquent, qui font preuve d’une autorité démesurée. C’est faux, en partie du moins. Car les autoritaristes sont malmenés. Mais Mlle Sapielak, oui, les adolescents ont besoin d’un cadre ferme sans être rigide je vous l’accorde. Et ce n’est qu’une fois les limites instaurées que l’enseignant obtient un climat serein pour pouvoir passer à ce qui l’intéresse réellement : l’enseignement. Et les élèves aiment apprendre dans leur ensemble.

    Là où le bât blesse selon moi, c’est que rien ne prépare un jeune professeur à ce qui l’attend réellement et qu’il est facile de dire « serre les dents, ça finira par passer ». Parfois, quand j’entends dire qu’on doit devenir enseignant par vocation, cela me fait hurler. On n’entre pas dans l’Education Nationale comme on rentre dans les ordres. Avoir la passion est un plus mais enseigner est un métier et il faut savoir donner des armes à ceux qui débutent et non leur dire que s’ils n’y arrivent pas c’est qu’ils ne sont pas faits pour ça. Parce que je vous la pose moi cette question : qui est fait pour endurer moqueries, humiliations, insultes voire atteintes physiques ? En quoi cela correspond-il au concours ambitieux auxquels se sont frottés des étudiants depuis des années ? Et puis en quoi ne pas être fait pour être enseignant serait une honte ? C’est un métier comme un autre.

    Il y a beaucoup de choses à revoir dans l’enseignement et dans la manière dont il est pensé. Il y a autant d’établissements scolaires que de réalités différentes et quoi qu’on en dise, on est loin du collège unique. Mais ce livre amer (et je comprends l’amertume de l’auteur) ne doit pas faire oublier que tous les enseignants ne sont pas dépressifs ni hystériques voire alcooliques. Par contre, je ne réponds plus à ceux qui taxent les enseignants de chanceux, de privilégiés ou autres. Je veux bien leur laisser mes collégiens une journée, une seule. Et en reparler ensuite…
    J’aime mon métier même s’il n’a rien à voir avec ce que j’aurais pu imaginer au départ. En cela, j’ai eu de la chance, beaucoup de chance.

    

Ecrit après coup : Je viens d’écouter l’auteur passée en septembre sur RTL et je lui suggère de modaliser ses propos. On ne peut reprocher à cette jeune femme de ne pas avoir eu les épaules pour ce métier qui a beaucoup changé. On peut perdre son temps à pleurer le bon vieux temps ou essayer de donner le meilleur de soi, chaque jour. Le métier de professeur a sans doute changé mais la société aussi. Et quand j’entends dire qu’il faut s’économiser car on ne pourra pas tous les sauver… je suis perplexe…
    Je vais dire ici ce que je dis à mes élèves de manière quasi-quotidienne : l’accès la liberté c’est la culture qui vous le donnera. Alors, pendant que vous lirez ces lignes, je serai probablement en train de donner le meilleur de moi-même, sans m’économiser. Non pas pour les sauver (je n’ai pas cette prétention) mais pour les éveiller un peu plus au monde qui les entoure.