Une photo, quelques mots (52 bis)

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 © Julien Ribot

 

Aujourd’hui, ils sont tous rassemblés pour la liberté. Aujourd’hui, ils sont tous rassemblés pour souffler car ceux qui menaçaient leurs vies ont été stoppés dans leur course folle. Dans leur course effrénée après des chimères, des âmes ils ont soufflées, la liberté ils ont écornée.

Aujourd’hui, je ne peux me rassembler avec eux, malgré tout. Ceux que l’on nomme les monstres, je les ai connus gamins, sur les bancs de mon école, celle de la République. En tout cas, j’en ai connu un.

Le petit Adama – eh oui malgré ses 37 ans, il restera toujours pour moi le petit Adama – n’a jamais trop aimé l’école. Avec le recul, je me dis que celle-ci le lui rendait bien. Quand je l’ai vu la première fois, avec son énorme cartable, ce tout petit bout, quelque chose en moi a été touché, à jamais. Quand nous avons ouvert ce cartable et que j’ai constaté les quelques fournitures entassées, pas sorties de leurs emballages, mon coeur à jamais s’est serré. Quand il m’a dit, tout fier, avoir tout acheté seul au supermarché, j’ai eu envie de le serrer.

Adama restera à jamais pour moi, ce môme sans mouchoir, jamais bien réveillé, jamais assez chaudement habillé, le caïd de la récré. Et pourtant, c’est celui qui partageait son goûter avec la petite Marie pour laquelle il avait accroché ce petit cadenas avec un coeur qui est resté après toutes ces années ; c’est celui qui ne supportait pas qu’on insulte ses camarades. Mais c’est celui dont déjà le regard se voilait à chaque évaluation ratée. Ce regard désabusé que je n’oublierai jamais.

Quelques années après, sa petite soeur m’avait rapporté qu’il faisait beaucoup de bêtises au collège, enfin quand il y allait. Malgré tous nos efforts, Adama peinait à lire et à écrire. Alors il préférait briller dans le quartier plutôt que de sombrer au fond d’une classe. Cancre ou caïd, on choisit vite.

Il paraît que la prison a fini de l’user et lui a appris tout ce qu’il ignorait encore. Et quand je vois son nom dans tous les journaux en lettres de feu, je me rappelle le sourire de ce petit garçon comme les autres, né au mauvais endroit. Un môme mal accompagné qui aura poussé de travers, une plante sans tuteur. Récupéré par des gens sans scrupule, on lui aura fait croire qu’enfin quelqu’un allait l’estimer et que quelque part, il aurait une valeur.

Alors ce soir, je pleure aussi tous ces jeunes qu’on ne parvient pas à sauver. Parce qu’avant de devenir des monstres, ils ont été des petits garçons sur les bancs de nos écoles. Et que cela n’a malheureusement pas suffi.

Si nous devons tous être Charlie, nous devons aussi faire en sorte que personne ne devienne jamais Adama. *

* Noms et âge ont délibérément été changés. J’ai choisi ce prénom, non pour le stigmatiser, mais parce qu’il me rappelle un môme fragile que j’aimais beaucoup et dont j’adore le prénom. Je voulais aussi écrire pour tous ces jeunes que nous ne devons pas abandonner.

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26 réflexions au sujet de “Une photo, quelques mots (52 bis)”

  1. J’ai les larmes aux yeux et le coeur serré. Merci pour lui, pour eux, tous ces enfants à sauver… et en plus ton texte est super bien écrit….. merci ma Stephie. Tu as eu raison de l’écrire celui là aussi. Avant d’être des monstres ils ont été des enfants innocents c’est obligé à un moment !!! Sauvons-les…

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  2. donc je pleure dans le RER..oui tu as raison, n’oublions jamais d’où ils viennent et ce qu’ils ont vécu ces hommes pour en arriver là. Je ne veux pas faire mon éternelle positive mais je suis certaine que l’école en a sauvés car seule elle, peut le faire…en tous cas je veux vraiment y croire.

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  3. 2 textes aussi bon le meme jour!!! Je demande un contrôle anti dopage!
    Encore une fois le ton est juste, c’est bien écrit, et tu appuies la ou ça fait mal, mettant, comme dans l’autre texte, nos responsabilités a tous en question! Bravo!

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  4. J’aime beaucoup ton deuxième texte qui est encore une fois très juste. Oui, il ne faut pas oublier que les assassins ont un jour été des enfants qui sont malheureusement tombés sur les mauvaises personnes et qui n’avaient pas les armes intellectuels pour résister.

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  5. C’est avec émotion que je lis tes lignes.
    Hier une amie m’ a téléphoné en larmes, elle a élevé un enfant, il pourrait s’appeler Adama, jusqu’à l’âge de 16 ans, ce n’était pas dans une cité mais près d’une ville de province dans cette région où Ulysse aimait revenir vivre près de ses parents, elle vient d’apprendre qu’il s’est laissé lui aussi décervelé alors que rien ne le prédestinait…

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