Une photo, quelques mots (52)

coeur-verrouille© Julien Ribot

    Il paraît que de l’autre côté de ce grillage existe un monde en guerre, un monde où les gens se déchirent, un monde où l’on tue l’autre parce qu’il n’est pas nous.

    Il paraît qu’ils sont si mauvais, si querelleurs et si obtus, qu’on a dû se protéger et qu’on a dû les enfermer.

    Chaque jour, je viens ici et j’observe de loin en loin, j’écoute. Au début, ils faisaient beaucoup de bruit. On entendait les détonations, les hurlements, le fracas. On m’a raconté que le soir, on évacuait les corps. Il paraît que ces gens-là ne prenaient même plus le temps d’ensevelir leurs morts, trop occupés à en tuer d’autres. Ou peut-être parce qu’ils avaient perdu toute notion d’altérité.

    Petit à petit, ils ont fait moins de bruit. Faute de combattants peut-être. Quand quelqu’un a émis l’hypothèse qu’ils s’étaient sans doute calmés, d’autres ont ricané. Dans ces esprits faibles, ai-je entendu, point de salut.

    Il paraît pourtant qu’ils ont eu des enfants. Je ne parviens pas à croire que dans chaque nouvel être qui voit le jour, il ne puisse y avoir une once d’amour, d’espoir ou de bonté. Je suis persuadée qu’il faudrait juste savoir la cultiver.

     Je vais laisser ce cadenas, signe qu’une autre voie est possible. Un jour peut-être quelqu’un le verra.

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     On m’a dit que de l’autre côté de ce grillage existe un monde en paix, un monde où les gens respectent la liberté des autres, où on n’aime rien tant que les gens différents de nous.

      On m’a dit que de l’autre côté de ce grillage, il y a des gens si gentils, si doux, si compréhensifs.

      Alors pourquoi nous ont-ils abandonné ? Je suis né et j’ai grandi sous les bombes et le sang, j’ai fini par croire qu’ainsi était faite la vie. Comment admettre que si la paix existe, personne n’a rien fait pour nous sauver, nous enfants, de ce carnage.

     On m’a dit que de l’autre côté du grillage, ils n’avaient pas supporté qu’on touche à leurs idées, de voir la liberté menacée. Alors ils nous avaient parqués en un seul lieu et appelés les Méchants.

    Depuis peu, il y a moins de bruit ici. Bientôt les miens en auront sans doute fini de se détruire, faute de combattants. J’essaie de me cacher un peu ici et rêve moi aussi d’un monde uni, sans cri. Alors, je regarde à travers les mailles de de grillage et je me prends à imaginer ce que je serais devenu si j’étais né du bon côté.

    Tiens… un cadenas, il n’était pas là hier…

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34 réflexions au sujet de “Une photo, quelques mots (52)”

    • Et j’espère vraiment que ces deux-là feront tomber la grille comme un jour, d’autres, on fait tomber un mur

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  1. J’aime beaucoup ton texte Stephie, son écriture est très belle. Espérons que tout cela reste de l’anticipation, de la science fiction, et jamais la réalité. Tu rejoins l’impression d’enfermement que j’ai ressenti avec cette photo, ce sentiment d’être « derrière » cette grille.

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    • Tu sais, je me demande si ce n’est pas déjà ce que nous vivons… On sait que chaque jour, des gens meurent dans l’indifférence générale. On sait aussi qu’autour de nous la violence germe dans des graines trop mal semées…

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  2. j’aime bien cette double vision qui souligne combien nous sommes éloignés des réalités de ces hommes. Il fautdra sans doute apprendre à les comprendre pour parvenir à rétablir la paix. Merci de ton passage 😉

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  3. Je t’admire d’avoir réussi à imaginer un texte. J’ai bien conscience moi aussi de l’existence de cette grille mais comment la détruire ? Une enfant de10 ans a provoqué un attentatil y a un ou deux jours, au Mali, Boko Haram fait encore des massacres et on s’y intéresse peu. Quand on sait que la proximité est une des premières règles en journalisme pour avoir des lecteurs ou de l’audiencé on a tout compris.

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  4. Rêvons tous ensemble d’un monde uni, serein et tolérant….rêvons encore un peu après ce magnifique rassemblement…rêvons aussi longtemps que nous le pourrons.

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  5. Ton texte me parle et me touche beaucoup , avec les deux voix de part et d’autre du grillage , car j’ai vécu des deux côtés <3

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  6. Très bonne idée, très bien écrite. J’adore cette double vision, si juste, qui mène à une réflexion complexe… Faisons nous vraiment tout notre possible pour tendre la main ? nos actions sont elles efficaces ? merci Stephie.

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    • Je ne sais pas si tout est fait, ni si c’est fait correctement. En tout cas, je vais continuer à ma petite échelle de parler, écouter et montrer ma tolérance dans mes actes quotidiens.

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  7. Tes textes sont très émouvants, j’en suis un peu tout chamboulée. Surtout le 2e.
    J’attends le 3e avec impatience, je reviendrai te lire.

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  8. Quelle belle idée, cette division du monde en deux!!! Et au delà de l’idée les questions que cela pose sur les responsabilités de chacun, la passivité des uns et l’espoir perdu des autres… Tres joliment écrit en plus!

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