Une photo, quelques mots (84)

Cité dortoir

© Vincent Héquet

(Texte écrit en juillet 2015 pour un atelier d’écriture
et un peu remanié pour la photo)

Quelque part au Mali, 1998. Adama crève de faim dans son village. Ne pas écouter les cris de son estomac, la tête qui tourne, la vue qui se trouble. C’est des trucs de femmes. Lui, Adama, c’est un guerrier. Son père lui a dit.

Mais quand le ventre de Mariama sa jeune épouse, se met à grogner, sa fierté en prend un coup. Sa faim, il peut la gérer ; mais celle de sa femme, il ne peut l’encaisser.

Quand Mariama s’arrondit, c’est autre chose qui tord le ventre d’Adama : la honte.  Son épouse lui offre une descendance mais lui, n’a rien à donner en partage. Ce n’est pas ça, être le chef de famille. Pour la première fois, il ne se sent vraiment pas à sa place.

Alors il décide de partir. Un cousin qui revient au pays une fois l’an, chargé de cadeaux de la grande marque Tati, a raconté la belle vie qu’il a en France.  Alors Adama a travaillé, économisé et moins mangé. Puis il a trouvé le bon passeur et embarqué, contre vents et marées, vers cette terre pleine de promesses.

Paris la magnifique ne tient pas tout à fait ses promesses : personne ne l’attend et c’est chacun pour sa peau. Mais il est bien décidé à se faire une petite place sous ce ciel toujours gris. Il déjoue les problèmes de papier, la peur du gendarme, les marchands de sommeil… Que diable, il va travailler, économiser et encore moins manger.

Peu importe, il va réussir, faire venir Mariama et son petit Samba. Ils trouveront, ensemble, le répit. Samba aura un bel avenir.

Bobigny, 2013. Adama est assis, les années ont passé et il a bien vieilli. Ses mains noires et sèches témoignent de la fatigue et des privations. On est bien loin de ce dont il avait rêvé pour lui et les siens. La cité de béton, sans âme, finira par les avaler tout entiers.

Une porte s’ouvre. C’est son tour, il le sait. Il se lève, attrape son vieux sac Tati. Il avance, sans un regard pour celui qui, silencieux, honteux sans doute, le suit.

  • Entrez, Monsieur Diallo. Asseyez-vous.

Il s’exécute. Face à lui, les mêmes que vingt minutes auparavant. Il voit bien les visages gênés, les regards baissés. Il a déjà compris, Adama.

  • Monsieur Diallo, après avoir bien réfléchi, il a fallu trancher. Le conseil de discipline a décidé que Samba n’avait plus sa place dans le collège et prononce une exclusion définitive.

 

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20 réflexions au sujet de “Une photo, quelques mots (84)”

  1. Très beau texte. On sent qu’il a été travaillé. J’ai repense aux échoués entre autre pendant cette lecture et la fin m’a mis les larmes aux yeux. Bravo vraiment, il est vraiment très bien pensé, bien rythmé. De l’importance de l’école pour avoir une place dans la société… J’aime ce lien. Bisous. Bon lundi.

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  2. C’est un beau lien entre exclusion et exclusion…. Et comme toujours une jolie écriture rythmée et qui embarque!

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  3. La terre promise ne tient pas ses promesses et ça continue avec la génération suivante : une chute très bien vue pour un texte qui appuie, lucidement, là où ça fait mal …

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    • Je lui ai écrit un contrepoint cet été. Je vous le ferai peut-être partager si une photo venait à s’y prêter

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  4. Je ne suis pas étonnée que tu aies écrit un tel texte cet été, lors d’un atelier d’écriture, c’est un thème que tu portes en toi, mais ça tu le sais déjà. 🙂

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