Une photo, quelques mots (56)

neige

© Romaric Cazaux

    La neige a cette année encore recouvert la Terre de son grand manteau blanc. Chaque retour de cette saison marque pour moi la preuve qu’une année de plus s’est écoulée. Une année sans toi.

    Là où à l’époque tu ne voyais que gaucherie, moi je pressentais la grâce. Là où tu ne voyais qu’un vilain petit canard, je devinais déjà le cygne et je pressentais l’envol. Mon petit albatros à cette époque… tes ailes t’empêchaient de voler… Aujourd’hui, tel un paon, derrière toi, tu remues tes atours.

    Parfois je bous. Je me dis que d’autres que moi profitent de ce que mes yeux avaient vu, de ce que mon sourire essayait de t’insuffler. Penaude, tu me disais que l’amour me rendait aveugle, que j’étais le seul à te voir belle, à croire que le monde pourrait être à tes pieds si seulement tu le voulais.

    Je n’ai cessé de te guetter en silence depuis ce jour où tu m’as quitté. Je ne t’en veux pas. Après t’avoir poussée, j’avais bien conscience de te freiner. Tu dois penser que je t’ai oubliée… si tu savais.

    Aujourd’hui, tu tiens le haut de l’affiche et j’ai acheté le premier billet.

    Aujourd’hui, devant tous ces gens tu vas te déhancher.

    Mais je n’aurai de cesse d’imaginer que cette manière de chalouper, c’est pour moi que jadis tu l’as inventée. Que cette ondulation, c’est au dessus de mon bassin que tu l’as tant et si bien travaillée. Pas un jour sans que je ne ferme les yeux pour me remémorer cet air mutin que tu prenais alors que tu ondoyais au-dessus de moi. Cette façon que tu avais de glisser sur mon membre érigé. De prendre ton temps, de ralentir, me faisant te demander d’accélérer. Te faisant prier. Et quand je ne m’y attendais plus, de faire claquer ton bassin contre le mien, dans une sorte d’assaut. Pour me laisser pantelant et vidé. Te levant sans un regard, me laissant hagard.

    Malgré le froid de la rue, je sens monter en moi la fournaise. Aujourd’hui, tu es enfin l’égérie d’un spectacle. Mais sur ma peau, tu as toujours occupé le haut de l’affiche.

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52 réflexions au sujet de “Une photo, quelques mots (56)”

  1. Un signe d’amour regretté, c’est quand on voit l’affiche que l’on se souvient. J’ai eu un peu chaud en lisant la fin, certains souvenirs me sont revenus….

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  2. Je l’avais vu aussi cette femme sur l’affiche mais je n’ai pas trouvé quoi en faire. On retrouve dans ce texte une thématique qui t’es chère mais cette fois-ci le point de vue est inversé. Le signe d’une avancéé, non ?

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  3. C’est bien d’avoir mis en valeur le point de vue de l’homme. On a l’impression que ce sont toujours les femmes qui ont des regrets, des souvenirs douloureux. Bien vu l’exploitation de la silhouette de femme, bravo !

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  4. c’est marrant, en lisant le début j’avais imaginé une tout autre fin (qui n’avait RIEN à voir avec la tienne).
    Sympa d’avoir exploité la silhouette, tu te démarques 😉
    et vive Baudelaire !

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        • Je suis d’accord avec toi sur cette difficulté. Mais on écrit pour être lu 😉
          Et tu devrais te lancer, oui, l’écriture c’est cathartique, je ne te l’apprends pas 🙂

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  5. j’aime bien ce point de vue et la sensualité de ton écriture…très chaude. (je l’avais déjà apprécié pour d’autres textes)

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  6. C’est bon, tu as fait monter la température, la neige a fondu…
    J’aime, comme l’ont dit les autres, la sensualité de la scène mais je vois aussi beaucoup de douceur dans ton écriture.
    C’est très réussi, en tous cas.
    Bises la belle!

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