Une photo, quelques mots (80)

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© Romaric Cazaux

    Il paraît que ça ressemblait à ça. Même que les hommes appelaient ça une femme. Je ne saurais vous dire si l’humanité l’a vraiment aimée, remarquez. Tout ça pour une histoire obscure de fruit défendu, un truc qu’elle aurait voulu manger, qu’elle aurait vilement refilé à l’homme et qui les aurait perdus pour l’éternité. Si j’ai bien compris, il fallait bien la contenir la tentatrice. Dès le départ, son potentiel malin avait été détecté.

    Remarquez c’est si joli, toutes ces courbes. Je ne sais pas trop à quoi ça sert, mais je sens bien quelque chose brûler dans mes entrailles, là tout en bas du ventre, quand je la regarde.

    Il paraît qu’elle a presque connu son heure de gloire pendant un bon siècle. Une créature qui avait les mêmes droits que nous : voter, travailler, conduire seule et même, tenez-vous bien, à décider de son corps et de son désir d’enfant. Je crois bien que c’est ce qui me choque le plus. Comment peut-on s’opposer à la volonté du Créateur et remettre en cause la survie de l’espèce ? A croire qu’on a bien fait de s’en méfier…

    Heureusement, il y a une siècle environ, des hommes ont oeuvré pour remettre les choses à leur place. Il paraît même que des femmes, conscientes de l’ornière dans laquelle se trouvait l’humanité, ont aidé à cela. On a commencé par cacher cet objet de convoitise sous des sortes de bâches noires de plus en plus épaisses : on a commencé par cacher les cheveux – ceux des femmes étaient diaboliques – puis les contours du visage. Puis tout a disparu là-dessous, jusqu’aux yeux – une histoire de sort qu’elles auraient pu jeter avec. Il paraît qu’on a crié au scandale, parlé d’une manipulation de l’homme, d’une utilisation abusive de textes religieux. Alors quand des femmes blondes qui semblaient libérées et instruites s’y sont mises, il a bien fallu reconnaître que tout ça, c’était du bon sens. Et elles ont sauvé notre société : les femmes ont cessé de travailler, on les a renvoyées à leur foyer et puis surtout on leur a repris le droit à décider de leur corps. Elles sont redevenues ce pour quoi on les avait crées : des machines à reproduire et à s’occuper de leur progéniture.

    Néanmoins, il paraît qu’année après année, elles se sont ternies et qu’à force d’être ainsi reléguées, elles en ont perdu jusqu’à leur chair, jusqu’à leur existence matérielle.

    Il paraît que leur peau était douce et qu’on aimait se blottir dans leurs bras. Il paraît qu’elles étaient aussi courageuses que les hommes, sans doute plus – on comprend le danger. On dit qu’avec elles a disparu quelque chose qui faisait tenir les hommes : l’amour. Il paraît que c’était bien.

    Mais on peut se passer des femmes. Chaque mois, je fais un don d’une semence qui ne me sert pas à grand chose. Je la récolte précieusement dans un centre dédié à cela. On m’a dit que grâce à une sorte de four, cela aide à maintenir notre espèce.

    Néanmoins, je trouve que les nouveaux ressemblent de plus en plus à des coquilles vides. A se demander ce qui leur manque pour s’épanouir pleinement.

    Ah mince, le musée va fermer. Je ne sais pas combien de temps j’ai passé devant ce buste. C’était beau une femme, quand même. Ce devait être bon d’en avoir une dans sa vie…

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28 réflexions au sujet de “Une photo, quelques mots (80)”

    • Merci sabine. Je l’ai écrit d’un trait. A peine eu le temps de le relire. Je traquerai les coquilles et/ou répétitions non voulues dans la semaine.

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  1. J’aime vraiment beaucoup ce texte,il aurait été dommage qu’il ne figure pas à l’atelier.Tu es la seule à raconter cette histoire connectée avec une grande partie de la réalité….Et le fait que cet homme soit troublé devant cette »antiquité »montre bien à quel point les femmes sont(étaient) dangereuses!….Si dangereuses qu’il devient finalement plus prudent de s’en passer!….Top.

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      • Ecrire et être publiée,voilà de quoi être légitimement fière à mon avis et si ça t’arrive c’est que ce que tu produis le mérite,les éditeurs ne sont pas là pour faire des cadeaux!!….

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        • C’est gentil de dire ça. Mais bon, j’essaie d’entendre et de faire mon miel de tout. Qui sait ? Ca m’empêchera peut-être d’avoir la tentation de le prendre vraiment un jour.
          Je ne sais pas si ce que j’ai écrit sera un bon roman. En attendant, je profite de l’aventure et de ma chance.

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  2. il change de ton habitude cet angle d’attaque…davantage dans la projection. Dans l’esprit ça m’a fait penser à « Le meilleur des mondes » . J’espère bien que les seins les culs les formes perdureront parce que sinon la zumba sera plus la même!!! Il est vraiment beau et pose des questions ce texte. bisous ma belle.
    ps. et n’écoute plus les murmures…

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    • J’essaie de me boucher les oreilles. Mais je prends note de tout et j’apprends de chaque chose 😉
      Mon coeur est égratigné mais il cicatrisera 😉

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  3. Un très beau texte, à l’histoire effrayante mais au regard si touchant…
    Quant aux murmures, n’écoute que ceux qui t’aiment…

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  4. J’adore ton texte. Aucun ennui à la lecture, c’est rondement mené, bien écrit. J’y ai même pensé après, je me suis demandé mais s’il y a des bébés filles qu’est-ce qu’ils en font? Puis j’ai continué à cogiter, en réfléchissant qu’il n’y avait pas de bébé fille….
    Une histoire jolie, bien écrite, qui fait réfléchir, sans temps mort..
    Tu as le droit d’avoir le melon 🙂 et d’être FIÈRE !!!!

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    • En fait, la question est là. Il y a peut-être des bébés filles… Et ce qu’il croit être des fours… ce sont des mères porteuses, cachées de tous…
      Et merci de ta gentillesse 😉

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      • Quelle horreur! je n’y avais pas pensé sur le moment puisque c’est l’homme qui « donne » le sexe du bébé cela ne m’a pas gêné….Mais là imaginer ces femmes parquées comme des vaches dans leurs étables…..Mon petit déjeuner ne se sent pas tres bien!!!!

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  5. un texte qui m’a interpellé. Je ne te connais pas dans ce registre et j’ai bien aimé bien que l’idée du texte m’a dérangée mais ça fait du bien d’être bousculé parfois en tant que lecteur 😉

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